Friday, 22 November 2013

Mémoire présenté au Comité permanent des ressources humaines, du concernant le Projet de loi C-4 – Loi no2 sur le plan d’action

L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) est le plus important syndicat de la fonction publique fédérale, comptant plus de 180 000 membres répartis d’un océan à l’autre. La majorité de nos membres, soit près de 110 000 personnes, travaillent au sein de l’administration fédérale.
Nous vous remercions d’avoir invité l’Alliance à présenter un mémoire au Comité sur les modifications proposées au Code canadien du travail dans la section 5 de la partie 3 du projet de loi C-4, intitulé Loi no2 sur le plan d’action économique du Canada.
Les membres de l’Alliance offrent une multitude de services à la population canadienne, dans des secteurs comme la sécurité frontalière, la sécurité alimentaire, la défense nationale, la gestion de la faune, la Garde côtière, les services fiscaux et les services correctionnels, pour n’en nommer que quelques-uns.
Compte tenu de l’étendue des fonctions qu’ils exercent, on ne s’étonnera guère d’apprendre que nos membres sont exposés au danger sur une base régulière. Voici quelques exemples :
  • les gardiens et gardiennes de parc qui doivent intercepter dans l’arrière-pays des braconniers équipés de carabines de gros calibre;
  • les gardes-frontières chez qui on a relevé des taux élevés de cancer du sein, lesquels seraient associés aux émanations des moteurs de véhicule tournant au ralenti aux postes frontaliers; soulignons également les risques que courent les patrouilles frontalières;
  • les agentes et agents de libération conditionnelle qui sont traqués par des criminels dangereux;
  • les inspecteurs de marine qui travaillent dans des espaces restreints;
  • les enquêteurs et enquêteuses de Statistique Canada qui sont victimes d’agression lors des collectes de données à domicile en solo;
  • les inspectrices et inspecteurs des aliments qui sont exposés à des pathogènes, à des organismes et à des pesticides potentiellement dangereux;
  • les travailleurs et travailleuses qui manœuvrent de la machinerie dangereuse.
À cet égard, évoquons le souvenir de Peter Kennedy, un opérateur de chaudière qui a perdu la vie il y a quatre ans lors d’une explosion à la centrale de chauffage Cliff, située à environ un kilomètre de l’endroit où siège aujourd’hui ce Comité. M. Kennedy figure parmi les dizaines de membres de l’AFPC qui ont été blessés gravement ou sont morts dans le cadre de leurs fonctions.

Plus d’un million de travailleuses et de travailleurs relèvent de la compétence fédérale.

La partie II du Code canadien du travail prévoit, en matière de santé et de sécurité, des protections s’adressant aux employés sous réglementation fédérale; elle précise les droits et les responsabilités qui s’appliquent aux employés comme aux employeurs.
Le système de responsabilité interne constitue depuis les années 1970 la pierre angulaire de l’approche moderne en matière de santé et sécurité. C’est sur lui que reposent les dispositions actuelles. Citons à cet égard un feuillet d’information publié en 2003 par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario :
Le système de responsabilité interne est une philosophie de santé et de sécurité. Il est basé sur le principe que chaque personne, dans un lieu de travail, est responsable de la santé et de la sécurité, et ce, qu’il s’agisse du PDG, des dirigeants, des gestionnaires ou des travailleurs.
Trois principes fondamentaux sont au cœur de cette philosophie : le droit de connaître les risques présents dans le lieu de travail; le droit de refuser d’accomplir des tâches dangereuses; et le droit de contribuer à la santé et à la sécurité au travail. Pour que l’approche soit efficace, il est nécessaire que les travailleurs et travailleuses soient formés adéquatement et qu’ils participent activement aux mesures destinées à renforcer la sécurité au travail.
Ce système ne fonctionnerait pas sans une application rigoureuse par le gouvernement des dispositions prévues. Le pouvoir qu’ont les agentes et des agents de santé et sécurité d’inspecter les lieux de travail, d’émettre des instructions et d’entamer des poursuites en cas d’infraction incite les employeurs à prendre leurs responsabilités au sérieux et à s’abstenir de recourir à des expédients susceptibles de causer du tort aux employés par inadvertance. Bref, le système de responsabilité interne doit être solidement implanté, à défaut de quoi son efficacité sera nulle. L’un ne va pas sans l’autre.
Si le projet de loi C-4 nous inquiète, c’est qu’il affaiblit les fondements mêmes de ce système. Pris ensemble, les changements proposés sont contraires à l’amélioration des mesures de protection en place et ils mettront en jeu la santé et la sécurité des fonctionnaires fédéraux.
Actuellement, le refus de travailler fonctionne de la façon suivante. D’abord, l’employé avise l’employeur du motif de son refus. Ce dernier peut réagir de deux façons : il peut prendre des mesures immédiates pour protéger ses employés ou choisir de ne rien faire, auquel cas le refus se prolongera. Par la suite, l’employeur fait enquête en présence du principal intéressé et d’un employé membre du comité de santé et sécurité.
Si l’employeur conteste l’existence d’un danger, l’employé peut persister dans son refus; un agent de santé et sécurité est alors informé sans délai de la situation. Ce dernier fait enquête en présence de toutes les parties, détermine s’il y a un danger et rend compte de sa décision par écrit à l’employé et à l’employeur.
Si l’agent de santé et sécurité conclut à l’absence de danger, l’employé a le droit d’appeler de la décision auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada.
Les dispositions du projet de loi C4 vont comme suit : après avoir reçu l’avis de refus de travailler de l’employé, l’employeur fait enquête en présence de celuici et préparer ensuite un rapport écrit. Deux choses peuvent alors se produire : l’employeur prend des mesures immédiates pour protéger ses employés ou choisit de ne rien faire, auquel cas le refus se prolongera. Dans cette dernière éventualité, l’affaire est portée à l’attention du comité de santé et de sécurité, qui mènera une enquête et fera rapport par écrit à l’employeur.
Si l’employeur conteste l’existence d’un danger, le ministre doit être avisé sans délai; la décision d’enquêter ou non lui appartient. S’il va de l’avant, il peut choisir en présence de qui il fera enquête : l’employeur, l’employé ou un employé membre du comité de santé et de sécurité au travail. À l’issue de l’enquête, le ministre détermine s’il y a existence d’un danger et il avise les parties de sa décision.
Dans le cas où le ministre déciderait de ne pas enquêter, l’employé ne dispose d’aucun droit d’appel.
Insistons tout d’abord sur le fait qu’aucune de ces modifications n’est le fruit de la collaboration ou même de la consultation. Les changements proposés dans le projet de loi C4 modifient des protections dont l’adoption est récente, puisqu’elles remontent à 2000; il s’agit d’une durée relativement courte pour un texte de loi. Les modifications dont le Code canadien du travail a fait l’objet à cette époque découlaient des nombreuses consultations menées auprès des syndicats, des employeurs et des gouvernements; elles illustraient à petite échelle ce que la collaboration tripartite peut réussir à accomplir.
En ce qui concerne les changements que renferme le projet de loi C-4, en revanche, ni les travailleurs et travailleuses, ni les employeurs n’ont été consultés. Ni, à notre connaissance, les agents et agentes de santé et sécurité au travail du fédéral. À ce jour, le Comité d’examen de la réglementation, un comité tripartite chargé d’examiner les questions de santé et de sécurité dans la fonction publique, n’a reçu aucune plainte sur la mise en œuvre du Code; le comité consultatif du ministre et le Comité sur les pratiques des opérations du travail non plus. Le fait est qu’il existe déjà des structures chargées d’étudier et de régler les affaires touchant la santé et la sécurité et qu’aucune n’a eu vent de problèmes susceptibles de justifier des changements aussi importants. Ce seul point devrait inciter les membres de ce Comité à les envisager avec scepticisme. Passons maintenant aux aspects qui nous préoccupent plus particulièrement.

Modification de la définition de « danger »

Nous redoutons que la nouvelle définition du terme « danger » ne conduise à une interprétation beaucoup plus stricte de ce qui constitue un danger sur les lieux de travail.
La définition actuelle se lit comme suit : 
« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.  
Dans l’alinéa 176(1) du projet de loi, cette définition a été supprimée pour être remplacée par le libellé suivant :
« danger » Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté;
Même si la nouvelle définition semble avoir une large portée et que son libellé semble suffisamment général pour englober l’actuel, nous craignons néanmoins que l’interprétation qui en sera faite soit restreinte. Les raisons qui nous amènent à le croire sont les suivantes.
L’un des préceptes essentiels de l’interprétation des lois est qu’une modification répond à un but très précis : modifier une loi en vigueur. Lorsqu’un législateur change le libellé d’une loi, on suppose que son intention est bel et bien d’en modifier le sens initial. De fait, il serait illogique de modifier une loi et de s’attendre à ce que cela n’ait aucun effet.
Par ailleurs, dans une affaire relative à un cas de harcèlement psychologique en milieu de travail, la Cour de justice du Nunavut a statué que si le législateur avait eu l’intention d’inclure le harcèlement psychologique dans sa définition du « danger », il l’aurait précisé de façon explicite. La Cour est arrivée à cette conclusion après avoir étudié l’origine législative du texte de loi définissant la notion de « danger »1. Devant la prudence caractéristique avec laquelle la définition a été interprétée dans ce cas-ci, on peut craindre que la nouvelle définition et le flou de son libellé ne soient interprétés de façon restrictive, plutôt qu’avec souplesse.
Depuis treize ans, la jurisprudence a grandement évolué en ce qui concerne l’interprétation de la notion de « danger » en milieu de travail. Elle comprend notamment des jugements de la Cour fédérale d’appel sur lesquels toutes les parties intéressées peuvent s’appuyer lorsque vient le temps de déterminer ce qui constitue un danger en milieu de travail. Si l’on modifie complètement la définition actuelle, toute cette jurisprudence ne sera plus d’aucune utilité; les parties devront repartir à zéro et recommencer à argumenter. Il ne s’agit pas là d’un usage judicieux des ressources pour aucune des parties; de plus, la santé et la sécurité continueront d’être en jeu tandis qu’on met la nouvelle définition à l’épreuve.
Par ailleurs, nous aimerions souligner que nous avons acquis une certaine expérience en ce qui concerne le terme « imminent ». Ce mot a été interprété par le passé comme voulant dire « presque immédiat », mais il a été abandonné par le Parlement canadien lors de la réforme en 2000. En effet, on a jugé qu’il imposait des restrictions incompatibles avec l’importance que revêt la possibilité pour les travailleuses et travailleurs de soulever des inquiétudes, bien avant de s’exposer au danger, à l’égard de conditions de travail non sécuritaires. Nous appréhendons que la nouvelle définition n’expose les travailleuses et travailleurs à des dangers mortels.
Voici un exemple. En 1999, des gardiens de parc ont exprimé des inquiétudes quant à l’obligation qui leur était faite d’arrêter et de détenir des personnes, notamment lorsqu’elles sont armées de gros calibres. Un agent de santé et sécurité au travail leur avait indiqué que suivant la définition en vigueur, il faudrait que les balles sifflent au-dessus de leurs têtes pour que l’on considère le danger auquel ils s’exposaient comme « imminent » et pour qu’ils puissent exercer leur droit de refus. Le Comité devrait s’opposer à un retour à des protections aussi indéfendables et déficientes que celle-là pour les travailleuses et travailleurs sous réglementation fédérale.
Il ne faudrait pas non plus avoir à recourir à des procédures judiciaires onéreuses dans le seul but de réinstaurer des protections qui existaient déjà et qui incitaient les employés à prendre conscience des risques. Cela concerne le premier des droits évoqués plus haut, soit le droit de connaître les dangers présents sur le lieu de travail; notre inquiétude, c’est que ce droit ne soit obscurci par la nouvelle définition, dont le libellé est vague et peu utile au demeurant.
On ne trouve plus dans ce projet de loi la volonté de reconnaître que les effets d’une exposition à un danger ne sont pas forcément immédiats, ni qu’il vaut la peine de protéger les travailleuses et travailleurs contre les dangers potentiels qui menacent l’appareil génital.
Une question s’impose alors : quel vice cherche-t-on à corriger par cette nouvelle définition? Que manquait-il au libellé actuel pour qu’on se sente obligé de le modifier? Et pourquoi l’avoir fait sans consulter quiconque? Pour résumer, nous craignons que la définition proposée ne serve à soustraire à l’examen des questions précises et légitimes touchant la notion de danger potentiel.

Le refus du ministre de faire enquête

L’alinéa 182(1) du projet de loi prévoit l’ajout d’un nouvel article au Code canadien du travail qui permettrait au ministre d’exclure la possibilité d’une enquête approfondie à la suite d’un refus de travailler, s’il juge que l’affaire est futile, frivole, vexatoire ou entachée par la mauvaise foi.
Nos préoccupations à l’égard de cette disposition sont de trois ordres.
  • Elle pourrait exposer l’employé qui exerce son droit de refus à des mesures disciplinaires.
Le changement proposé, qui accorde au ministre le pouvoir de catégoriser un refus de travailler comme étant « futile, vexatoire ou entaché par la mauvaise foi », pourrait permettre à un employeur d’imposer des mesures disciplinaires contre des employés qui craignent pour leur santé et leur sécurité, sans qu’une enquête impartiale ait eu lieu. La peur de représailles découragera sans l’ombre d’un doute bien des employés d’invoquer leur droit de refus, ce qui les mettra en danger. En effet, combien auront le courage de refuser un travail potentiellement dangereux face à la perspective d’une réprimande?
  • La disposition n’accorde pas le droit d’interjeter appel de la décision du ministre.
Une décision concluant que le refus de travailler ne méritait pas enquête aura pour effet de bloquer toute possibilité d’appel. Le seul recours possible sera la révision judiciaire, laquelle limite la portée de l’examen par la Cour. La révision judiciaire, de par sa nature, s’en rapporte aux décisions de première instance – en l’occurrence, celle du ministre ou de la personne qu’il a déléguée. Les décisions de cette nature sont fondées sur des conclusions de fait; les instances révisionnelles sont peu enclines à les renverser. En soi, le droit de refuser un travail dangereux est donc compromis par ce nouveau pouvoir discrétionnaire.
Dans le cadre actuel, une fois qu’une affaire relative au refus de travailler remonte les voies de recours interne jusqu’à un agent de santé et sécurité, ce dernier a l’obligation de faire enquête et de rendre une décision – une décision susceptible d’appel par l’une ou l’autre des parties. Si l’agent conclut qu’il y a absence de danger, l’employeur a alors le droit d’imposer des mesures disciplinaires à l’employé qui maintient son refus.
Le système de responsabilité interne suppose que la santé et la sécurité intéressent toutes les parties et que la consultation et la collaboration au sein des comités de santé et sécurité sont des mécanismes qui ont fait leurs preuves pour résoudre des problèmes courants.
  • Cette disposition du projet de loi C4 supprime tout incitatif susceptible d’amener l’employeur à consulter ses employés et à collaborer avec eux à la résolution des problèmes.
L’employeur (rappelons une fois de plus que le principal employeur régi par cette loi est bel et bien le gouvernement) n’aura qu’à renvoyer les dossiers de ce type au ministre du Travail, qui pourra étouffer toute préoccupation relative à la santé et à la sécurité en décidant qu’il s’agit d’une affaire futile.

« Absence de danger » ne signifie pas absence de problème

Nous nous sommes laissés dire que ces mesures étaient motivées par le fait que 80 % des refus de travailler et des procédures d’appel aboutissaient à une décision concluant à « l’absence de danger »; apparemment, ce chiffre laisserait croire que la définition actuelle ratisse trop large et doit être épurée.
Les décisions « d’absence de danger » n’impliquent pas qu’on a conclu au non-respect des dispositions par l’employeur. Or nous sommes nous-mêmes au fait de situations où des décisions de cet ordre étaient accompagnées d’instructions ou d’une demande de Promesse de conformité volontaire (PCV) adressées à l’employeur. Depuis deux ans, plus de 5000 PCV ont été délivrées annuellement. La corrélation entre les PCV et les décisions « d’absence de danger » est bien la donnée probante dont ce Comité devrait tenir compte. Nous avons demandé qu’on nous transmette ces chiffres, mais le Programme du travail à RHDCC a refusé. Contentons nous de rappeler que le nombre de décisions d’absence de danger ne permet pas de conclure au mauvais fonctionnement du système en place.
Permettez-moi de poser la question une seconde fois : quel vice cherche-t-on à corriger par l’imposition de mesures aussi draconiennes?

Suppression des références aux agents de santé et sécurité

L’alinéa 176(1) du projet de loi abroge toutes les références à « l’agent de santé et sécurité » pour les remplacer par « le ministre ». Un peu plus loin, le paragraphe 190 stipule que le ministre peut déléguer ses pouvoirs à toute personne qu’il juge compétente.
Pareilles dispositions pourraient servir à évincer le corps d’inspecteurs neutres, qualifiés et spécialisés qui veillent actuellement à faire appliquer les règles, dans le but de les remplacer par des entrepreneurs privés embauchés au cas par cas, dont le prochain contrat dépend du bon vouloir du gouvernement. Les pouvoirs accordés aux agents de santé et sécurité en matière d’inspection des lieux de travail et de directives incitent les employeurs à prendre leurs responsabilités au sérieux et à s’abstenir de recourir à des expédients susceptibles de nuire aux employés par inadvertance. C’est là une responsabilité extrêmement lourde, trop importante pour la laisser à des entrepreneurs privés qui se montreront réticents à donner une instruction contre une entité qui paie leurs honoraires.
Cette disposition du projet de loi C-4 ouvre la porte à la politisation du rôle essentiel que jouent la surveillance et l’exécution de la loi; on ne peut que rappeler que le plus grand employeur soumis aux inspections est bel et bien le gouvernement.
Tout indique que les avis d’infraction et les mesures punitives constituent les seuls moyens de réduire la fréquence et la gravité des accidents au travail2. C’est la froide réalité, un constat que fait ressortir encore davantage le fait que le nombre d’employés a augmenté radicalement par rapport au nombre d’inspecteurs depuis quelques années. En 2005, la proportion se chiffrait à un seul inspecteur pour 6607 employés; en 2007, elle était passée à un inspecteur pour 80573. Depuis ce temps, le nombre d’agents de santé et sécurité n’a cessé de diminuer de façon importante.
On ne s’étonnera guère d’apprendre que cette réduction des ressources en matière d’inspectorat s’est traduite par un accroissement des blessures invalidantes chez les employés fédéraux : l’augmentation est de 5 % depuis cinq ans.
Nous estimons que cette disposition place le ministre dans une situation de conflit d’intérêts, en ce sens qu’il pourrait être accusé de décisions partiales prises en faveur de ses collègues du cabinet et à l’encontre des travailleurs et travailleuses.
C’est une orientation qui n’augure rien de bon pour la promotion de la santé et de la sécurité au travail.

Enquêtes virtuelles

Le paragraphe 212 du projet de loi C-4 prévoit que le ministre peut, par voie électronique, mettre en œuvre ou exécuter les dispositions du Code canadien du travail. Avant d’aborder plus précisément ce qui nous inquiète dans ce passage, rappelons le contexte dans lequel ces changements surviennent : nous observons une diminution constante du nombre d’agents de santé et sécurité d’un bout à l’autre du pays, plus rapide dans certains secteurs que d’autres, et il n’y a aucun espoir de les remplacer. Ceux et celles qui restent se voient refiler des charges de travail énormes; ils subissent les pressions de leurs patrons qui leur demandent de faire leur travail sans quitter leur bureau afin d’économiser sur les frais de déplacement, tandis que les demandes d’intervention augmentent.
Le gouvernement a une obligation de diligence à l’égard de toutes les parties en présence dans le milieu de travail sous réglementation fédérale et à l’égard de la population canadienne : lorsqu’un agent de santé et sécurité fait enquête sur un accident mortel, il doit se rendre sur les lieux.
Concrètement, comment est-il possible de donner suite à une plainte touchant la sécurité sans rencontrer les parties sur place dans le but d’analyser la situation? Où sont les données montrant que le fait de remplacer une inspection visuelle par une inspection virtuelle ne conduira pas à une augmentation du nombre d’accidents ou de décès au travail?
Depuis dix ans, plus de 45 employés fédéraux sont décédés en moyenne chaque année. Les modifications proposées permettront-elles de renverser cette situation? La règle devrait être la même qu’en médecine : avant de pratiquer une intervention, le médecin doit être sûr qu’elle ne causera pas de tort. Nous aimerions que le ministre du Travail nous donne cette même garantie.
Il n’existe aucun paramètre ou explication susceptible de nous éclairer sur la portée de ces changements dans le paysage réglementaire en matière de santé et sécurité. En l’absence de toute consultation, nous ne pouvons qu’anticiper le pire, soit que les agents de santé et sécurité « délégués » ne pénétreront plus jamais dans un lieu de travail, et qu’ils devront remplir toutes leurs fonctions (sans contrevenir à la loi) tout en restant assis à leur bureau.
Honnêtement, nos attentes sont plus élevées que cela; celles de nos membres et de la population canadienne en général le sont aussi.
Ces modifications, dont on prétend qu’elles sont censées améliorer le système de responsabilité interne, font fi de la nécessité de maintenir un mécanisme rigoureux, assorti d’un régime réglementaire digne de ce nom, qui permet de faire appliquer la conformité en amont, grâce à la présence sur les lieux de travail d’agents d’exécution de la loi neutres, ainsi qu’aux rapports de collaboration qu’ils établissent avec les parties intéressées.

Conclusion

Nous demandons que soient retirées de la section 5 de la partie 3 du projet de loi C-4 – Loi no2 sur le plan d’action économique du Canada les modifications prévues au Code canadien du travail.
Toute proposition de modification au Code canadien du travail devrait faire l’objet d’une consultation tripartite avant le dépôt d’un projet de loi à cet égard.

Notes

1 Le gouvernement du Nunavut représenté par le ministre de l’Environnement c. Commission de la sécurité au travail et de l’indemnisation des travailleurs et Debbie Jenkins, 16 juillet 2013, non publié.
2 E. Tompa, S. Trevithick et C. McLeod. « Systematic review of the prevention incentives of insurance and regulatory mechanisms for occupational health and safety », Scand J Work Environ Health, 2007; 33(2), p. 85-95.
3 D. Macdonald, Centre canadien de politiques alternatives, « Le succès n’est pas le fruit du hasard. Baisse de la sécurité chez les employeurs de compétence fédérale », avril 2010.

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